Bien venue chez les Zemmours, Les Ait Yadine « Aspects historique et social»

Publié le par Med

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 A/.Ait Yadine et les tribus des Zemmour.


La tribu des Ait Yadine tire son nom de l'ancêtre des Chérifs Idrissides appartenant à cette tribu. Cet ancêtre est le saint Sidi Yadine. Ce nom n'est que 1a déformation de Sidi Bouyad. La plupart des Ait Yadine savent que ce saint fut un manchot. Ils savent, également, qu'il est enterré en Moulouya dans les Beni Mguild, Ait Kessou, Ait Moussa, Ait Haddou, à un kilomètre environ au Sud de Bou-Mia, petit village situé sur la rivière Bou-Mia, affluent de la Moulouya. Sidi Bouyad est l'un des descendans; de Moulay Slimane, frère d'Idriss 1er et maître de Tlemcen. Il fut défait vers 921 par Messala Ben Habbous, gouverneur de Tahert au service des Fatimides. Les Ait Yadine font donc partie de la branche Idrisside Soulaimania. Leur généalogie que nous avons recueillie auprès de Moulay Hammou, l'un des plus âgés des chérifs Ait Yadine et communiquée à Marcel LESNE est la suivante : Sidi Yadine ben Mohamed, ben Affa, ben Lyazid, ben Slimane (frère d'Idriss 1er ) ben Abdellah, ben Hassan Es-Sebt ben Hassan el Mouthanna ben Ali, cousin et gendre du Prophète Mohamed ben Abdellah que soit le salue et la paix sur lui, sa famille et ses compagnons. Le mausolée attribué à ce saint se trouve dans la tribu des Ait Yadine, près de l'Oued El Mallah, entre Ait Hcine. et Ait Malak. D’une enquête que nous avons menée personnellement, il s’est avéré que le tombeau que renferme le mausolée est vide. Tous les Ait Yadine le savent et n'éprouvent aucune gêne à le dire. Ils savent tous également, que leur ancêtre repose au Douar Ait Messaoud ( Beni Mguild, près de Bou-Mia) en haute Moulouya. Mais rares sont ceux qui connaissent le lieu du tombeau avec précision. Pas de pèlerinages périodiques ou collectif s au mausolée de Sidi Yadine. Quelques Yadinis vont même jusqu'à dire que le chérif est enterré à Tlemcen ! D’autres soutiennent que l'homme enterré dans ce mausolée s’appellerait Si Ben Thami qui fut, non pas chérif, mais simplement un serviteur de Sidi Yadine.

 

 L’histoire des Chorfa ait Yadine est intimement liée à celle des tribus constituant la Confédération des Zemmour, On ne peut parler de celle-ci, sans donner un aperçu de celle-là.
Placés à la tête d’un large mouvement de tribus berbères s’étendant des confins sahariens aux portes de Rabat et Salé, en suivant l’axe Sud-est _ Nord-Ouest, les Zemmour n’atteignent leur territoire actuel que dans la seconde moitié du 19 ème siècle. Le bloc des Imazighen, cette coulée de tribus berbères dont les Zemmour constituent le fer de lance, s’ébranla à partir du 10ème siècle. Dans sa lente et aventureuse marche de huit siècles, il traversa le haut et le Moyen Atlas. Ces pasteurs, attirés par le plateau de Khemisset aux pâturages verdoyants et par l’immense forêt de la Maamora encore aux mains, des puissantes tribus des Béni-Hcène, abandonnent le Moyen Atlas et continuent leur progression vers les plaines Atlantiques. Il fallait que celles-ci et les forêts convoitées fussent infiniment meilleures que celles occupées dans la région d’Azrou et d’Aïn Leuh, sous le règne de Moulay Ismail pour que la Confédération des Tribus Zemmour fût tentée, au 18ème siècle, d’amorcer sa descente, en s’orientant vers la région de Khemisset.


L’installation des premières tribus s’effectua vers 1850, Elle fut extrêmement difficile. Les Béni-Hcène qui occupaient le plateau de Khemisset et la forêt de la Maamora durent abandonner, peu à peu, leur territoire devant la poussé irrésistible des Zemmour. Ceux-ci étaient, à leur tour poussés par d’autres tribus qui cherchaient à atteindre la plaine. Les combats furent acharnés. Les Béni-Hcène opposèrent aux rudes montagnards Zemmouris une résistance farouche et ne lâchèrent pied qu’après de durs et épuisants affrontements. Les tribus qui s’installent les premières en pays Zemmour, sont les Béni Amer qui se composent des Aït Ali Ou Lahcen, Kotbiyine, Mezzourfa et Khezazna. Les Béni Amer furent surtout attirés par la Maamora. Ils y parvinrent grâce à une action remarquablement conjuguée de toutes les tribus de la Confédération. Arrachée de haute lutte aux Béni-Hcène cette immense forêt était tenue par les Béni Amer qui s’installèrent à sa lisière. Ils en furent d’après et vigilants défenseurs. La Maamora était la richesse commune des Ait Zoggat. Elle symbolisait leur union et faisait leur fierté vis-à-vis de la puissante tribu des Béni-Hcène à laquelle ils l’ont arrachée, La forêt était pour ces pasteurs à la recherche de nouveaux pâturages, une richesse inespérée et un centre d’intérêt autour duquel allait s’organiser la vie sociale et économique de la Confédération. Cette dernière comprend plusieurs groupes de tribus à savoir les Béni Amer dont nous venons de par1er, les Messaghra et Ait Yadine les Qabliyine les Ait Ouribel, les Ait Jbel Doum, les Beni Hkem, les Houderrane et les Ait Zekri qui groupent le Ait Bel Kacem, les Ait Ouahi et les Ait Abbou. Marcel LESNE affirme que plusieurs tribus de la Confédération étaient d’origine Zaïane ; elles ne sont devenues Zemmouri que très récemment. C’est le cas de tout le groupe des Beni Amer Quant aux deux tribus des Ait Yadine et des Aït Bou Yahia, des terres leur furent données au centre même de la Confédération par l'assemblée de celle ci appelée Jemaâ, en raison de leur qualité de Chorfa. Quelle que soit leur origine, ces tribus furent autrefois unies sous l'autorité de cette Jemaâ.


Leur unité d'action devant les obstacles rencontrés sur leur long et pénible chemin et notamment devant les Beni-Hcène fut remarquable. Devant l'ennemi commun, les Zemmour font preuve d'une solidarité sans faille, mais dès que le péril est vaincu ou simplement contourné, les luttes intestines, momentanément oubliées, réapparaissent et empêchent la cohésion de la tribu et par conséquent celle de la Confédération. Celle-ci, en temps de paix, est dépourvue d'unité réelle. Elle n’est, alors, autre chose qu’un vaste groupement politique rassemblant des tribus ayant souvenance d’avoir parcouru ensemble les mêmes chemins et vécu les mêmes aventures et que seule l'approche d'un ennemi commun poussait à s'unir pour l'affronter dans un élan de solidarité et de bravoure incomparables.

 

Il convient de dire, à ce propos, que certains Zemmouri des plus âgés, se souviennent parfaitement encore, des combats auxquels ils ont participé contre les Beni-Hcène. Ils en parlent toujours avec fierté et force détails. M. LESNE situe ces combats qui, d'après-lui, ont précédé l'installation définitive des Zemmour Sur le plateau qu'ils occupent depuis 1890. Tous les Zemmouri savent que leurs ancêtres, pasteurs semi-nomades, au tempérament guerrier, sont venus des confins sahariens. Ils ont longtemps séjourné dans la. Région du Moyen Atlas avant d'atteindre le territoire qu'ils occupent à nos jours. Certaines fractions de tribus n'ont pu suivre, pour diverses raisons, le lent mouvement accompli par les membres de la Confédération depuis leur lieu d'origine, dans le Sud-est du pays, jusqu'à leur emplacement actuel mais la descente des Zemmour dans la plaine ne s'était pas effectuée avec l'aisance que l'on pourrait imaginer. Ceci était dû au fait que la politique du Sultan Moulay Ismail consistait à lutter, avec persévérance , contre les populations berbères céliniennes dans le Moyen Atlas et l'Atlas Central, bastions de la puissance saharienne encore menaçante même après la destruction de Dila (2) par Moulay Rachid. Il s’efforça de contenir les tribus de la montagne par une série de campagnes et la construction de forteresses avancées. On peut donc affirmer avec certitude que les Zemmour n’ont fait leur apparition dans l’histoire marocaine qu'au début du règne de Moulay Ismaïl. Ils se trouvaient à l'aube de la Dynastie Alaouite, d’après M. LESNE, dans la région qu'occupent actuellement les Beni-Mguild. On peut délimiter cette zone par les localités et lieux suivant : Azrou, Ain-Leuh, la Haute Moulouya et le Jbel Ayachi. Nous relevons dans le Kitab El Istiqça que les Zemmour étaient au service de Moulay Ismail. Les tribus de la Confédération des Zemmour furent les premières à lui apporter leur appui et leur soumission et à sa politique leur soutien, lors de l'expédition entreprise par le Souverain, en 1688 (H. 1099), contre les habitants du Fazaz. Ce comportement fidèle et loyal à l’égard du Trône Alaouite, amena Moulay Ismaïl à confirmer, dans ses fonctions, le Caïd Ba-Ichou El Kabli. Les Zemmour demeurent donc, sous les Caïds Ba Ichou et son fils Ali Ben Ichou, fidèles à Moulay Ismail jusqu'à sa mort. Le désordre qui suivit la disparition de ce grand Monarque permit aux tribus berbères, longtemps contenues dans la montagne, de se répandre dans la plaine tant convoitée. A cette époque, les Zemmour se trouvaient au Sud- Ouest de Meknes. Ils apportèrent

 

leur soutien total au Sultan Moulay Abdellah. Ils ne cessèrent de saisir toutes les occasions pour razzier, aux côtés du Souverain, leurs ennemis acharnés, les Beni-Hcène qui apportaient leur appui aux abides contre le Makhzen. A la fin du règne de Moulay Abdellah, les Zemmour ne jouaient plus le rôle important qui leur était dévolu au sein des grandes familles berbères telles les Ait Idrassène, les Guerouane et les Ait Oumalou. Ils semblaient être attirés par leur futur emplacement : le plateau de Khemisset et la riche forêt de la Maamora. Avant d'atteindre leur but, il fallait que le dernier obstacle que constituaient les Beni-Hcène fût levé quel qu'en fût le prix. Aussi, les Zemmour se contentaient-ils, dans un premier stade, de s'emparer des riches terres dans le Sud-Ouest de Meknès. Ils abandonnèrent volontairement leur rôle de leader aux Guerouane et aux Ait Idrassène. Pendant cette période, note M. LESNE, où le rôle d'arbitre passe peu à peu aux mains des Guerouane et des Ait Idrassène, les Zemmour gagnent lentement leur territoire et ont déjà conquis les hauteurs du Tafoudaît, forteresse naturelle qui leur servira désormais de refuge en cas d'invasion.


Mais les rapports des Zemmour avec le Makhzen ne tardèrent pas à se détériorer sous le règne de Sidi Mohammed Ben Abdellah. Ils atteignirent leur paroxysme sous les règne s de Moulay Slimane, de Moulay Abderrahmane et de son fils Sidi Mohamed Ben Abderrahmane. Cette situation eut pour conséquence une série d'expéditions punitives entreprises par ces deux derniers Souverains en pays Zemmour, Cette dégradation eut pour principal artisan Sidi Boubker Amhaouch dont le mausolée se trouve à Lunda, sur le rocher d’Amzaourou, à quelques kilomètres d’EI-Kebab.


Cependant, la rupture des Zemmour avec le Makhzen n’a jamais été définitive. Descendant du Prophète, le souverain à. toujours été entouré d'un halo de prestige indiscutable. Nous partageons entièrement l’ avis de M.LESNE à ce sujet: « Mais les Zemmour n’ont jamais marqué d’hostilité à la personne même des Souverains, tant le cherifisme demeurait puissant parmi eux, en outre, malgré certaines critiques, leur fidélité à la Dynastie ne fut jamais prise en défaut et le spectacle des dernières années de la «Siba » ne permet aucunement de conclure à un état de révolte contre la Dynastie ou la personne du Souverain ». Profitant de l’avènement de Moulay Hassan, les Zemmour tentèrent et réussirent un rapprochement avec le Makhzen. Le règne de ce grand ROI qui fit de la selle de son cheval son trône, tellement il tenait à parcourir, sans cesses le pays afin de l'organiser et d’en faire une nation développée et puissante, fut, pour les Zemmour, une période de calme et de prospérité, Moulay Hassan traversa leur territoire, pour la première fois, en 1877. Les populations, à leur tête le Caïd Brahim El Kebli, lui firent meilleur accueil et lui apportèrent soumission et fidélité . Les Zemmour parvinrent à gagner la bienveillance du Souverain, La tribu était payée régulièrement et les contingents exigés étaient levés de bonne grâce et en temps voulu. G. Klein, cité par Marcel LESNE, note dans son étude inédite « que les Aït Bou-Yahia, les Aït Yadine et les Aït El Mejdoub étaient exonérés d’impôts, Il s’agissait là d’une faveur due à leur origine chérifienne. Ils se contentaient d’envoyer chaque année une chamelle au Sultan, en signe d’attachement à sa personne".

 

 Sous le règne du Roi Moulay Abdelaziz, les Zemmour s’écartaient, peu à peu, du Makhzen affaibli par les révoltes internes dont celle de Bou HMARA et les convoitises des pays européens qui précipitèrent la dislocation du Royaume. Ils prêtaient ou refusaient leur concours au Souverain seIon leur fantaisie et le jeu des intérêts. Les agitations internes étaient telles que la route reliant Meknès à Rabat et traversant le pays Zemmour redevint incertaine. Le sultan devait emprunter celle du Nord qui traverse le territoire des Beni-Hcène plus ou moins soumis à l’autorité du Makhzen, mais en tout cas moins belliqueux que leurs ennemis, les Zemmour.


Ce tableau historique que nous venons de brosser a pour but d’une part, de mettre en relief l’attitude, vis-à-vis du Makhzen, de ces farouches montagnards au tempérament guerrier que sont les Zemmour, encore imprégnés des moeurs de la montagne où ils ont longtemps vécu et d’essayer d'autre part, de situer les Aït Yadine dans ce vaste cadre qu’est la Confédération des Zemmour, afin de voir quel a été leur rôle, tant vis-à-vis du Makhzen qu'à l’égard des tribus soeurs de cette Confédération à laquelle ils ont toujours appartenu.
En quoi consiste donc ce rôle que les chérifs Yadinis ont pu jouer au sein de cette confédération ? L'histoire et la tradition orale n’apportent rien de précis à ce sujet. Mais quoi qu'il en soit, nous savons que tout chérif authentique est toujours appelé à jouer le rôle d'arbitre ou de conciliateur, en cas de différends opposant des tribus ou fractions de tribus et pouvant entraîner des conflits parfois meurtriers. Hormis ce rôle dévolu à tout chérif digne de ce nom, les Ait Yadine n'apparaissent pas à travers les événements qu'a vécus la Confédération des• Zemmour. Tout ce qu'il nous a été permis de connaître à leur sujet est qu'ils faisaient partie du Caïdat « Moualine Beht » groupant les tribus Messaghra, Aît Yadine Ait Jbel Doum dont les Ait Siberne. Ce Caîdat était confié à Ould Toumi Siberni .


Nous connaissons, également, que les Ait Yadine, les Ait El Mejdoub de la région de Khemisset et les Aît Bou Yahia de celle de Tiflet étaient exonérés d'impôts en raison de leur qualité de Chérifs. Les Ait Yadine étaient donc tout désignés pour jouer un rôle de trait d'union heureux entre le Makhzen et les Zemmour. En était-il ainsi ? Nous ne le pensons pas. Les Chérifs d’Ouezzane qui jouissaient d'un grand prestige en pays Zemmour étaient plus engagés que les Ait Yadine aux côtés de la Dynastie Alaouite. Cette position de conciliateurs entre le Monarque et les tribus Zemmouries, d’une part, et d’arbitres entre tribus elles –mêmes en cas de rivalités opposant les uns aux autres, d’autre part, n'a pas été exploité judicieusement par les Att Yadine. Ces derniers se sont laissés condamner à se confiner dans un rôle de second plan et à vivre dans une sorte de neutralité voire même d'indifférence à l'égard des événements qui secouaient, de temps en temps, les populations des tribus environnantes .Mais cette neutralité ou plutôt cette retraite était- elle voulue ou imposée par la situation qui prévalait dans les Zemmour? Si l'on excepte le rôle de tampon que jouaient ces chérifs au nord de la confédération, entre les Béni-Hcène et les tribus des Messaghra et Aît Zekri rôle qu’aucun écrit ne confirme et qui n'est mentionné que par la tradition orale entretenue par les chérifs; eux-mêmes comme pour justifier leur raison d'être au sein des Zemmour, on est amené à chercher, ailleurs, les raisons de cette retraite qui nous semble pour le moins curieuse. Quelque; unes de ces raisons nous paraissent se rapportez aux Ait Yadine eux-mêmes.


Leur ancêtre, Sidi Yadine est inconnu des Zemmour. Il n’a jamais effectué de séjour, de son vivant, chez ces derniers. Il est enterré près de BouMia dans le Moyen Atlas. Quant au mausolée qui se trouve dans la tribu des Ait Yadine, près de l’Oued El Maleh, entre Aît Hsine et Ait Malek et qui porte le nom de ce saint homme, il renferme un tombeau vide Il a été érigé à la mémoire du chérif. Sa valeur est uniquement symbolique. Tous les Ait Yadine savent que les cendres de leur ancêtre dorment à BouMia. L’absence d'un vrai moussem à la mémoire de ce Chérif, explique le peu d'intérêt que les tribus des Zemmour dont les Ait Yadine eux-mêmes, accordent à un mausolée dont l'histoire est encore enveloppée d'un épais brouillard. Peut-on voir en cela, l'une des raisons qui ont amené les Aît Zoggat à s'orienter vers les chérifs d’Ouezzane qui intercédaient efficacement en leur faveur, auprès du Makhzen, en cas de crise ou de révolte pouvant entraîner une expédition punitive? Le fait que les An Yadine ne se soient pas signalés aux côtés des tribus de la Confédération des Zemmour, lors des durs combats livrés jadis aux Béni-Hcène, ne signifie-t-il pas que ces Chérifs ont voulu observer une stricte neutralité à l’égard des antagonistes, afin de conserver à leur titre de chérifs tout son prestige ?


Cette attitude n’aurait-elle pas conduit les Zemmour qui ne pouvaient pas compter sur les Aït Yadine à dédaigner ces derniers et à les traiter en parents pauvres ? Il convient de signaler, à ce propos, que les Ait Yadine ont toujours été considérés par les Zemmour comme étant une tribu Zemmourie à part entière et non comme de simples hôtes de la Confédération. Ainsi, cette attitude dédaigneuse, si l’on peut dire, des Zemmour à l’égard de ces chérifs, aurait-elle amené ces derniers à se replier Sur eux-mêmes, et à passer presque inaperçus dans l'histoire de la Confédération ? Mais est-ce à dire que les Aït Yadine ne jouissaient pas du profond respect dû par tous les Aït Zoggat aux descendants du Prophète ? Bien au contraire. Les territoires cédés par la Jemaâ de la Confédérat.ion aux Ait Bou Yahias aux An El Mejdoub et aux Aït Yadine prouvent la grande vénération que les Zemmour ont toujours eue à l’égard des Chorfa. Les Souverains Alaouites ont, depuis les débuts de la Dynastie, manifesté beaucoup de bienveillance vis-à-vis de ces chérifs Idrissides qui étaient exonérés d’impôts, en raison de leur origine chérifienne. Mais comment expliquer, à côté de tout cela, l’absence, a notre connaissance de tout contact entre le Makhzen et les Ait Yadine ? Celui-ci aurait-il douté de la fidélité de ces chérifs à la Dynastie et les aurait-il écartés de toute mission au sein des tribus ? Il est intéressant de constater que les Chérifs Aït Yadine n’ont, à aucun moment, à travers l'histoire des Zemmour, intercédé en faveur de ces derniers auprès du Makhzen. Cette tâche a toujours été assumée par les chérifs d’Ouezzane, Idrissides eux aussi. Les Ait Yadine auraient-ils essayé de remplir cette noble mission et leurs bons offices auraient-ils échoué ? L’histoire ainsi que la tradition orale demeurent muettes à ce sujet. On peut donc dire que la position des Ait Yadine tant vis-à-vis du Makhzen que des tribus Zernmour est bien ambiguë.
L’histoire ne les range ni d'un côté ni de l'autre. Peut-on dire que leur rôle si rôle il y eut, a totalement été négatif ? On est tenté d'y croire, car nulle point, à travers l'histoire des Zemmour ces chérifs n’apparaissent ni comme conciliateurs ou arbitres, ni comme partie des différends opposants de temps en temps, certaines tribus à d’autres. Marcel LESNE nous brosse, dans les lignes qui suivent, un tableau où les principales tribus de la confédération sont en plein mouvement, mais où les Ait Yadine sont totalement absents: "si les Kabliyine sont plus riches et ont tendance à se rapprocher du Makhzen, les Aït Ouribel manifestent les mêmes goûts de pillage et de brigandage, les Ait Belkassem, prouvent leurs instincts guerriers par leurs expéditions contre les Shoul et les Beni-Hcène, avec les Kotbiyine; les Messaghra sont en guerre continuelle avec les Beni-Hcène et les Guerouane. Les Ait Mimoun entretiennent quelques relations avec le Makhzen mais s'apposent constamment aux Guerouane. Les Ait Siberne, très indépendants, luttent contre les Beni-Mtir et les Guerouane, les Houderrane ont des différends constants avec les Beni-Mtir, Beni-Mguild, Zaïan, Ben-Hkem; ces derniers, enfin, combattent très souvent leurs voisins Zaêr et Zaîan.


Ce silence pesant de l’histoire à l’égard des Aït Yadine nous incite à poser quelques questions et à émettre certaines hypothèses à ce sujet. Aussi nous parait-il fondamental de savoir, tout d'abord, si les Aît Yadine sont arrivés, en même temps que les Zemmour, au territoire qu'ils occupent actuellement. Si la réponse à cette question était affirmative, il serait difficile d’admettre que ces chérifs n'aient pas participé, aux côtés des Zemmour, aux multiples affrontements livrés aux occupants des terres convoitées dans les plaines bordant immédiatement la montagne. L’ébranlement des tribus berbères vers les plaines atlantiques qu'elles désiraient atteindre, coûte que coûte, provoqua une poussée telle qu1il était impossible aux Zemmour, tribus de pointes visant également le même but, d'arrêter "cette coulée de populations berbérophones, qui tenait à quitter les montagnes du Moyen Atlas où elle a été contenue et comprimée depuis fort longtemps . La chronique et la tradition orale n’ont, ni l'une ni l'autre, mentionné, à notre connaissance, les Aït Yadine pendant cette période en tant que chérifs jouant le rôle de conciliateurs ou d’arbitres. Si par contre l’hypothèse relative à l'arrivée des Aït Yadine après l’installation des Zemmour sur leur territoire actuel et sur la demande de ces derniers était retenue, pourquoi donc les Zemmour auraient-ils fait appel aux Ait Yadine, tout particulièrement, et non aux chérifs d’Ouezzane qui étaient à la fois Idrissides et amis ?. Les Aït Yadine auraient-ils été imposés aux Zemmour par le Makhzen ? Par quel makhzen ? Il est, historiquement, impossible que ceci fût réalisé au temps des Idrissides, car les tribus Zemmouri ont amorcé leur descente vers la plaine, après la mort de Moulay Abdellah et durant le règne de ses successeurs immédiats. Ils arrivèrent, au plateau de Khemisset aux environs de 1850, soit quatre vingt treize ans après la mort de Moulay Abdellah, ce grand ROI qu’ils ont servi avec dévouement et loyalisme jusqu'à la fin de sa vie. Les Zemmour auraient-ils alors demandé à Moulay Ismaïl, Sultan Alaouite, de permettre aux Ait Yadine, Chérifs Idrissides de quitter les environs de Fès et d'aller habiter au sein des Zemmour ?


Quoique ceci puisse nous paraître tout naturel, les Alaouites étant cousins des Idrissides, il est à souligner toutefois, que rien ne l’atteste, Là aussi, l'histoire est silencieuse. Il ne peut, d’ailleurs, en être autrement car, en admettant même que la question relative à la chronologie des faits ne soit pas posée quant à l’antériorité de la chute dès Idrissides à l'installation des Zemmour Sur leur territoire actuel, il serait, à notre avis, anormal que le Makhzen Alaouite délaissât les chérifs Aït Yadine qu'il aurait lui même envoyés en pays Zemmour et entretînt, à leur détriment, de bons rapports avec les chérifs d’Ouezzane.


Nous savons que ceux-ci intercédaient, de temps en temps, en faveur de leurs amis, les Zemmour, lorsque certaines tribus entraient, pour une raison ou pour une autre, en rébellion contre le Makhzen et risquaient d’entraîner sur elles une expédition punitive. Ainsi, sommes nous donc enclins à penser que les Aît Yadine n’ont été envoyés dans les Zemmour par aucun souverain. Ils ne peuvent, nous semble-t-il, qu’avoir accompagné les tribus de la Confédération des Aït Zoggat depuis la haute Moulouya jusqu'au plateau de Khemisset. La tradition orale, entretenue par les Aît Yadine eux-mêmes, qui consiste à faire admettre que ceux-ci soient arrivés et placés sur leur territoire actuel, après que les Zemmour fussent installés depuis longtemps, avant eux, sur le même plateau, ne repose sur aucun fondement car comment peut-on concevoir qu'un territoire aussi vaste que celui des Ail Yadine soit laissé inoccupé, en attendant qu'une tribu étrangère à la confédération, fût-elle de chérifs, vienne s'y installer ? Croire à l'aisance d’une telle opération, c’est méconnaître l'esprit tribal, surtout au sein d'une Confédération qui n'est qu'un vaste cadre où évolue une mosaïque de populations aux origines diverses, ayant cependant un sentiment aigu de leur appartenance à la grande Confédération des Ait Zoggat. Mais l’esprit de cohésion et de discipline ne est qu’épisodique. Ils deviennent quasiment inexistants devant les intérêts personnels ou de clans.


Chaque tribu est un monde en soi. Elle ne sent la nécessité de son appartenance à la Confédération et de la solidarité qui la lie aux autres tribus soeurs qui à l'approche d'un danger de nature à mettre son existence en péril. Il convient de noter à ce propos, que le devoir d’assistance mutuelle qui lie chaque tribu aux autres ne se concrétise qu'en cas d’attaque générale contre toute la Confédération. Les conflits internes ou externes qui n'engagent qu'une ou deux tribus, laissent l'ensemble des tribus soeurs presque indifférentes. Les conflits se réglaient grâce à l’arbitrage des chérifs, de la Jemaâ, et aux pactes; de « tada ». L’esprit d’indépendance qui caractérise les tribus Zemmour, les unes vis-à-vis des autres, en temps de paix, et par rapport à tout ce qui leur est étranger, ne peut qu’infirmer l'hypothèse concernant l'arrivée des Ait Yadine bien après que les Zemmour fusssent installés sur le territoire qu’ils occupent actuellement.

 

 

 

 

 

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